Sur la vitre de la Ford Mondeo quasi neuve, une affichette «18 990 euros à débattre». «Si je la vends, je ferme l’entreprise et je reprends un contrat de salarié», affirme Brahim. Pourtant, lorsqu’il entreprend de devenir chauffeur VTC mi-2016, ce père de famille de 38 ans est plein d’espoirs. Partout, des publicités promettent 8 000 euros de chiffre d’affaires par mois. Attiré par le magot, il quitte un poste en CDI pour monter sa propre entreprise de VTC. «J’ai très vite déchanté»,reconnaît-il.
Quand Uber demande à ses chauffeurs de conduire un véhicule de moins de 6 ans, il investit. La société a noué un partenariat avec une concession à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), elle en informe les conducteurs par mail. Pour prétendre à des courses haut de gamme, Brahim cède. Il contracte un crédit et achète un nouveau véhicule à plus de 30 000 euros. Au bout de quelques semaines, il découvre les conditions réelles de son travail. «On ne décide de rien. Quelqu’un qui roule en 308 SW [un break familial, ndlr] est payé le même prix que moi. Uber prend 25 % de commission. Ils ont aussi créé Uber Pool, un système de covoiturage pour tuer le secteur. Ils se servent du VTC pour faire du taxi low-cost. J’ai vite senti que c’était une arnaque», admet Brahim.
Pour parvenir à vivre correctement, il travaille tous les jours de la semaine, parfois de 6 heures à 22 heures, les créneaux les plus intéressants étant «ceux de 6 à 10 heures et de 17 à 22 heures». Résultat, pour soixante-dix heures de courses, 1 300 euros de chiffre d’affaires dont il faudra ensuite déduire les charges. «Sans compter qu’en fin de soirée, les gens sont alcoolisés. Ils ne nous respectent pas, parce que la course vaut moins cher que s’ils prenaient le bus pour quatre personnes, et ils pensent qu’on doit avoir des bouteilles d’eau et des bonbons»,décrit-il. Sa vie de famille s’étiole, il voit de moins en moins ses quatre enfants.
Le père de famille en est convaincu : «C’est une relation salarié-employeur ! Uber décide de tout, jusqu’au prix de la course. Ce n’est pas une plateforme de mise en relation.» Le chauffeur se sent piégé. Son activité ne lui assure pas de quoi vivre, mais il faut rembourser son emprunt. Pas d’échappatoire selon lui, quand toutes les autres applications ne sont que des «clones» d’Uber. Face à ce qu’il considère être une «injustice», il contacte un syndicat de la profession, le SCP-VTC, qui lui conseille de saisir les prud’hommes. Avec huit confrères, il décide de faire valoir ses droits «en tant que salarié» : frais de gazole, entretien du véhicule, assurance… Brahim constate, amer, qu’Uber a, ces dernières années, «accentué son recrutement en banlieue». «Là où il y a le plus de chômeurs, les gens sont motivés et pensent gagner de belles sommes. Mais ils ne sont pas formés pour assumer les responsabilités d’une entreprise», regrette-t-il. En attendant la décision du tribunal prévue en mars, Brahim tente de joindre les deux bouts. Sa femme ne travaille pas, lui touche environ 800 euros par mois de son activité. Toute la famille vit en HLM à Clamart (Hauts-de-Seine). Pas un mot de la société à son sujet, le seul échange s’est fait au tribunal par avocats interposés. Désormais, il a bon espoir qu’elle soit «mise face à ses responsabilités»